Distillateur fougerollais à la ferme, 1911
Bouilleur de cru à Fougerolles, XVIIIe siècle (Illustration : P. Bernardin)

Des cerises et des techniques de distillation : du fruit au produit fini

Le logement des fruits

Les fruits destinés à la distillation sont placés dans des cuves en bois de capacités variables, allant de 4 à 50 hectolitres. Ces cuves ouvertes facilitent l’évaporation et le bon déroulement de la fermentation. D’autres contenants sont également utilisés, notamment les « Pipes », aujourd’hui employées uniquement par les bouilleurs de cru, et le « beurion », un tonneau de 4 à 6 hectolitres muni d’une porte, pratique pour le transport et la conservation des fruits.

Pour pallier la rareté et le coût élevé des fûts en bois, les distillateurs professionnels utilisent des cuves en ciment vitrifié, pouvant contenir plusieurs centaines d’hectolitres. Une quantité importante de fruits est nécessaire pour assurer une production optimale.

La fermentation des fruits

Une fois entreposés dans les cuves, les fruits commencent à « cuire » sous l’effet de la fermentation alcoolique. Ce processus, qui dure entre six et huit semaines, est provoqué par l’action des levures naturellement présentes sur la peau et les pellicules des fruits.

Durant la fermentation, une écume, parfois abondante (notamment lors des années pluvieuses), se forme et peut s’échapper des cuves. Cette mousse, si elle reste en contact avec les fruits, peut moisir et altérer la qualité du produit final.

Lorsque la fermentation est achevée, le sucre contenu dans les fruits s’est transformé en alcool. Dans les cuves, le jus descend tandis que les marcs remontent à la surface. Il est alors crucial de surveiller quotidiennement l’évolution du processus pour prévenir le « basculage ». En effet, la croûte de marc peut se détacher et plonger dans le liquide, provoquant une évaporation importante de l’alcool, ce qui nuit à la qualité du produit.

La qualité de l’eau-de-cerise dépend directement des fruits utilisés, notamment de leur teneur en sucre. Les petites cerises noires sont particulièrement prisées, mais à Fougerolles, elles sont souvent mélangées avec des cerises rouges. Les conditions climatiques pendant la maturation des fruits influencent également la production : une année sèche engendre une récolte plus faible mais un produit plus concentré et aromatique.

La distillation

La distillation permet d’extraire l’alcool des fruits fermentés. Chaque région possède ses propres méthodes et savoir-faire, et à Fougerolles, la technique de distillation est jalousement préservée par les bouilleurs de cru et perfectionnée par les distillateurs industriels.

Le kirsch, spiritueux de renommée mondiale, requiert des soins particuliers pour obtenir un parfum raffiné apprécié des connaisseurs. Le processus commence avec le dépôt des fruits dans l’alambic, où ils sont chauffés. L’alcool, s’évaporant à environ 70°C, traverse le chapiteau de l’alambic avant de se condenser dans un réfrigérant. À mesure que la température augmente, l’eau se vaporise également, se mêlant aux vapeurs d’alcool.

Alambic à feu nu « pisse droit »

Le liquide distillé est divisé en plusieurs fractions :

 Les âmes : très concentrées en alcool, elles contiennent des substances volatiles indésirables et sont mises de côté.
 Le bon goût : cœur de la distillation, ce produit d’excellence est recueilli lentement, sans attiser le feu de l’alambic. Il est limpide, incolore et d’un degré compris entre 90° et 45°.
 Les petites eaux : en dessous de 45°, elles sont troubles et nécessitent souvent une seconde distillation pour être réutilisées.
 

Si les bouilleurs de cru se concentrent essentiellement sur la distillation des fruits à noyaux comme la cerise, les distillateurs industriels, cherchant à optimiser leur rentabilité, exploitent d’autres matières premières comme la betterave. Cet ingrédient bon marché est utilisé soit pour produire un alcool de consommation courante, soit comme base pour d’autres liqueurs telles que l’absinthe et le kirsch fantaisie.

Toutefois, la distillation industrielle de la betterave présente des inconvénients : la fermentation confère aux pulpes un goût désagréable que la simple distillation ne parvient pas à éliminer totalement. En effet, les premières et dernières fractions de l’alcool obtenu, appelées respectivement « alcools de tête » et « alcools de queue », contiennent des composés indésirables et potentiellement toxiques, appelés flegmes. Parmi eux figurent des aldéhydes, des éthers, de l’acroléine et des alcools supérieurs (isopropyliques, isobutyliques, isoamyliques et amyliques) dont les points d’ébullition varient entre 85°C et 132°C.

Les alcools sont ainsi classés en fonction de leur pureté :

 Mauvais goût et moyen goût : 17,5 % du volume total
 Alcool fin : 22,5 %
 Alcool extra fin : 23 %
 Alcool de cœur : 37 %
 

Seuls les alcools de cœur sont immédiatement consommables, tandis que les autres fractions nécessitent une purification supplémentaire, appelée rectification. Cette opération s’effectue dans un appareil spécialisé, le rectificateur, également connu sous les noms de déflegmateur, rétrogradateur ou analyseur.

La distillation suit donc un processus rigoureux en trois étapes, chacune produisant des fractions distinctes :

 Les âmes (têtes de distillation) : riches en composés volatils indésirables.
 Le bon goût (cœur de distillation) : partie la plus noble et recherchée du produit.
 Les petites eaux (queues de distillation) : souvent réintroduites dans une distillation ultérieure.
 

Jean-Antoine Marc décrit ce procédé ainsi :

 

 

« La première eau porte l’esprit de 19 à 21 degrés ; elle se nomme grise… La seconde ne le porte que de 12 à 15 degrés. C’est le mélange de ces deux distillations qui fournit le commerce. On tire une troisième eau, qu’on appelle petite eau, qu’on rejette dans l’alambic jusqu’à la dernière bouillée. »

 

À Fougerolles, la « tête de distillation », qui contient des substances donnant un goût désagréable ou pouvant être toxiques (comme le méthanol), n’est généralement pas mélangée au cœur de distillation. Elle peut être conservée pour des usages médicinaux ou tout simplement éliminée. Quant aux « petites eaux », elles sont souvent recyclées dans les distillations suivantes ou commercialisées à bas prix.

 

Ce savoir-faire traditionnel, perfectionné au fil des siècles, confère au kirsch de Fougerolles une qualité inégalée, garantissant sa place parmi les grandes eaux-de-vie de fruit au niveau international.

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